lundi 5 avril 2010

Retour sur "Catherine (et Victor)" par la Cie du Théâtre K


Le 30 mars dernier nous fêtions l'arrivée du printemps avec une centaine d'invités à Raismes en y accueillant "Catherine (et Victor)" de la compagnie du Théâtre K. Le spectacle, déjà joué une première fois à St Saulve en janvier dernier, y rencontra un franc succès. Témoignage de l'intérêt aujourd'hui d'adapter de la sorte le roman "Les cloches de Bâle" d'Aragon, ce texte de Jean-Claude Tollet paru dans le dernier numéro de Liberté hebdo et que nous reproduisons ici avec son aimable autorisation.

Aller au théâtre … Osez, osez Catherine !

C’est à un défi d’intelligence et de courage que nous invite « Catherine et Victor » une adaptation du roman « Les cloches de Bâle » de Louis Aragon, le dernier spectacle de Gérald Dumont et de la Compagnie du Théâtre K qui vient d’être présenté à l’Espace Athéna grâce au partenariat entre L’Association du Printemps culturel et la M J C de Saint-Saulve. Ce partenariat suivait celui qui avait fortement contribué à la création de « Pour un oui, pour un non» de Nathalie Sarraute par Le Théâtre de Nulle Part, il y a dix huit mois.

Au départ de l’aventure, un texte du siècle dernier qui traverse le temps, un texte des années 30 ou Aragon le révolté du dadaïsme et du surréalisme est à un tournant dans son écriture « … Le roman, c'est la clef des chambres interdites de notre maison … », à un tournant de sa révolte contre l’injustice qui va l’amener à rejoindre le Parti Communiste Français.
« Les cloches de Bâle » est un roman charnière qui inaugure pour l’auteur son cycle du Monde réel (Les Beaux Quartiers, Les Voyageurs de l'impériale, Aurélien, Les communistes).
Il s’agit d’une écriture de et en rupture ; tout au long du roman se mêlent personnages réels, hommes politiques, industriels, policiers, syndicalistes de la Troisième République, et personnages imaginaires. En toile de fonds passent des évènements de l’époque : la grève des ouvriers horlogers de Cluses ou celle des chauffeurs de taxi parisiens de 1911-1912, l’enterrement au Père Lachaise des époux Lafargue (Paul militant socialiste auteur du « Droit à la paresse » et Laura, fille de Karl Marx), les crimes de la bande à Bonnot.


Le destin de trois femmes : Clara Zetkin, personnage réel, la militante socialiste allemande, Diane l’aristocrate ruinée, Catherine la féministe et de Victor le chauffeur de taxi en grève.
Des récits de vie qui se développent indépendamment et s’entrecroisent pour se rejoindre à Bâle en 1912 au Congrès des partis socialistes pour la paix. Un roman historique dont l’action se déroule à la fin de la soit disant « Belle époque », à la fin d’un monde, un roman écrit en 1934 prémonition d’un autre drame mondial.
La «… lourde chanson … le carillon de Bâle n’est pas joyeux : c’est une voix d’alarme qui a retenti depuis le Moyen-âge pour annoncer bien des dangers et des guerres … Une voix de désespoir et de panique. »

Dans son adaptation théâtrale de ce roman d’Aragon, Gérald Dumont privilégie l’histoire de Catherine exilée géorgienne qui s’éloigne de la vie mondaine en se confrontant au prolétariat et aux milieux révolutionnaires ; un itinéraire et un questionnement intime et personnel vers un engagement militant.
Depuis plusieurs années, de création théâtrale en création, Gérald Dumont, s’interroge, nous interroge au travers de ses personnages « sur les révoltés de tout poils, ceux qui font l’histoire malgré tout, ceux qui ne baissent pas les bras, les décalés d’une époque, les dissidents, les handicapés du bien-pensant et du bon goût ».

Après : Broutchoux, l’anarchiste du bassin minier et témoin horrifié de la catastrophe de Courrières en 1906 - Gus, Touinou, Rose et Gueule Cassée, tous victimes de la grande guerre Estafette/ Adieu Bert - Alexandre Jacob, l’illégaliste cambrioleur, le Robin des Bois marseillais Non !! (…encore un fait divers !), Catherine était les joyaux fragiles d’un royaume d’errants. Elle demeurait la figure impalpable d’un combat nécessaire mais protéiforme, un personnage féminin, une nouvelle égérie du monde des révoltés … Enfin une femme ! oserais-je dire. Enfin !...


L’aventure du Théâtre K et du Printemps Culturel commence la saison dernière avec la création du spectacle Le spectre rouge déjà tiré du roman d’Aragon en direction du jeune public « on pourrait dire que c’est ici que tout commence ! Par là, mobiliser et sensibiliser le jeune public au roman. (C'est-à-dire aux personnages, à l’histoire, mais aussi à l’équipe artistique) » : une « mise en bouche », une petite forme qui s’adapte facilement à tous les lieux et formats de plateau.

Ce premier spectacle accessible, magique et inattendu, est une amorce de « Catherine et Victor », il relate un évènement marquant du roman et de la vie de Catherine, l’épreuve décisive que fut pour elle la grève des horlogers de Cluses de juillet 1904, déclenchant chez elle une brutale prise de conscience face à la répression et à la violence sociale.
C’est à cet endroit précis, mais où, pourtant, les frontières deviennent floues que commence ce nouveau spectacle avec la rencontre de Catherine et de Victor, taxi gréviste de 1911 qui ouvre des portes inconnues à Catherine. Labyrinthe d’idées, violence des discours, douceur des amants entre l’action directe de l’anarchiste Albert Libertad et la pensée socialiste de Jean Jaurès. Catherine devient une autre, sans oublier ce qu’elle est, c’est sans doute là son drame, une histoire humaine et politique, le parcours d’une femme qui aime l’amour, qui aime les mots, qui aime les idées. C’est la difficulté d’oser être, hors de son milieu, être accepté par l’étranger.

Faut-il suivre ou non des méthodes “dures”, saboter ou non l’outil de travail ? Aragon dans son roman n’a pas choisi et son personnage Catherine est au cœur de cette contradiction des positions anarcho-syndicalistes défendues par le personnage de Bachereau. « C’est pourri, disait-il, leur politique. N’en faut pas ! ", déclare t-il. Ce personnage aspire à « La grève générale ! », il est partisan des manières fortes : «qu’on leur brûle leurs voitures, qu’on leur casse la gueule !». En revanche, Victor, soutien de Fiancette, le patron des syndicats, est plutôt légaliste. Finalement, il est difficile d’identifier à coup sûr «la bonne attitude» que les grévistes auraient dû adopter face aux «renards» ou au sabotage.

Il est trop limitatif de regarder la notion historique du texte pour l’enfermer dans une lecture au regard des enjeux politiques d’aujourd’hui «Elles sont seulement universelles et indatables», le reste n’est que littérature et c’est justement ce qui intéressant.
«Catherine et Victor » est un spectacle qui se regarde comme un livre, l’adaptation respecte l’écriture du roman au mot prêt, tout ce qui est dit sur scène a été écrit par Aragon.
C’est autant cette confiance au texte que celle qu’il accorde au jeu des comédiens qui font
que Gérald Dumont n’est pas de ces metteurs en scène que les acteurs sont obliger de tuer au début du spectacle parce-que trop redondant et bavard.

Tout repose sur la force d’un texte servi avec conviction par des comédiens dans un espace scénique dépouillé et dans des costumes et des éléments de décor en rouge noir et blanc et une lumière inventive de Richard Couton.
Dix séquences pour la chronique des mœurs d’une époque dont la poésie et l’humour sont les moteurs.
Chaque page de l’histoire s’apparente à une performance, les acteurs jouent tous les rôles, ils s’engagent dans chaque scène comme des artistes de cirque dans un univers ludique. Nous ne sommes jamais loin du cabaret et les personnages qui défilent narguent les conventions et les normes, les comédiens sont porteurs de la satisfaction d’interpréter l’histoire autant que le personnage.


Dans une démarche comme celle qui nous est proposée ici, le public ne peut pas un être passif et consommateur des beaux mots et de belles images, le spectateur doit à son tour travailler et s’interroger sur le sens.
On sort de la représentation avec un désir de connaissance et de culture, un véritable besoin d’éducation populaire sur l’histoire de l’art, des rapports conflictuels entre le surréalisme et le réalisme (socialiste) et la diversité de la pensée de gauche qui n’a d’avenir que dans sa diversité et sa capacité à se rassembler pour changer le monde.

En ces temps de marchandisation de l’art et de la culture ,où les organisateurs de l’oubli voudraient imposer leur loi, il faut oser le théâtre, oser avancer à contre sens des paillettes, il faut pour un artiste oser faire son travail de création et inventer toujours et toujours .Souhaitons que ce spectacle trouve sur nos territoires le nombre d’accueils qu’il mérite, qu’il bénéficie du soutien de tous ceux, élus, enseignants, professionnels de la culture qui considèrent qu’il est urgent de réagir contre ceux qui prétendent qu’il n’est pas nécessaire de faire connaître le plus largement possible Aragon, Nathalie Sarraute ou La Princesse de Clèves.
Ce roman d’Aragon annonçait en en son temps d’autres catastrophes et peut être que ce spectacle nous parle de celles à venir et nous appelle à agir avant qu’il ne soit trop tard.

Les artistes nous indiquent le chemin et ses embuches mais ne nous disent la voie royale pour les éviter ; aux politiques, à nous spectateurs/citoyens de les inventer ; à chacun son boulot.
Qu’on se le dise : Osez, osez Catherine est de l’ordre de la salubrité publique.